Textes Jacques Dussart
Photographies Franck Fernandes

Entre montagne sombre et mer illuminée
S'étale, en un décor pictural et vivant,
Toulon fidèle à son unique destinée
De puissant port de guerre et de séjour charmant...
Jean Deloulme


Ces quelques vers traduisent à merveille l'ambiance qui règne sur le port millénaire qu'est Toulon. Dans la rade, où mouillent d'imposants navires de guerre, l'Arsenal et la Marine Nationale occupent une grande partie de l'espace. Cependant les pointus des pêcheurs y ont encore leur place ainsi que d'autres activités de pêche plus méconnues, comme les parcs à moules et à huîtres de Tamaris, à la Seyne-sur-Mer.











La corniche deTamaris, qui porte le nom de l'arbuste sauvage qui y pousse à foison, est située dans un repli au sud de la rade. Georges Sand en 1861, en convalescence, y fait un séjour prolongé et en dévoile tous les charmes dans son Journal du Midi.


C'est à cette époque que furent tentés les premiers essais de culture des coquillages dans la rade de Toulon. En 1877 une concession importante fut concédée dans une anse de Brégaillon. Mais c'est seulement à partir de 1890 que, sous l'impulsion de M. De Jouette, cette culture s'implantera durablement. Deux obstacles s'opposèrent dès l'origine à l'extension de cette activité, la pollution des eaux de la rade et l'activité du port de guerre. Depuis, la pérennité de ces parcs ne s'est maintenue que par la farouche volonté des éleveurs qui, contre vents et marées, ont toujours lutté contre les administrations civiles et militaires, pour maintenir ce qui pour eux est, plus qu'un gagne pain, une véritable passion.
Jean-Louis Etienne un des plus anciens parqueurs quand il parle de son métier, a dans les yeux cette flamme qui anime le coeur des passionnés...
Jean-Louis Etienne a travaillé 30 ans dans les parcs à moules. Il a commencé à 16 ans sur l'exploitation de son père et lui a succédé. En 1956 quand les parcs à moules se sont montés, il avait soixante-deux mytiliculteurs. Aujourd'hui il n'en reste que sept.
" Les moules ça vient pas tout seul ".
C'est un travail fatiguant et difficile mais il a pour Jean-Louis Etienne le goût de la liberté.
" On est à l'air, au bord de mer, et puis on n'a pas d'horaires, il n'y a pas de sonnette, pas de clochette, pour vous dire quand il faut travailler, mais on ne compte pas ses heures. Le travail doit être fait on le fait, à 4 heures du matin, à midi comme à 9 heures du soir. Autrefois on remplissait une ou deux banastes à l'heure. Aujourd'hui c'est 400 kg à l'heure !
À Tamaris cultive essentiellement des moules, un peu d'huîtres, et quelques violets. Le violet, c'est pour les parqueurs la pomme de terre de mer. C'est un fruit de mer souple d'un brun violet ou bleuâtre, qui se contracte quand on le manipule. On l'ouvre en deux avec un couteau et avec son pouce on extrait une chair orange, odorante et fortement iodée. Ça ne plaît pas à tout le monde, mais le violet a ses aficionados, qui en mangeraient sur la tête d'un galeux, comme on dit par ici.


Le type de moules que cultivent les parqueurs et la gallo proventialis. C'est la moule de Méditerranée qui est plus grosse que celle de l'atlantique et aussi un peu plus salée. Ce sont des moules de bouchot, ce qui désigne le principe du travail : les moules sont en suspension sur des cordes durant douze à dix-huit mois. Douze mois les bonnes années, quand il a plu suffisamment, car l'eau douce a un rôle très important dans le développement des moules. Dix-huit mois les mauvaises années, quand la nourriture des coquillages vient à manquer. On la récolte de mars à Noël, mais c'est de mai à novembre qu'elle est la plus belle, la plus charnue. En janvier elle commence à avoir de la laitance et devient plus maigre.
Autrefois les parqueurs étaient autorisés à aller même faire les moules, c'est-à-dire trouver les moules le sauvages qu'ils faisaient croître et multiplier ensuite dans les parcs. Il s'approvisionnaient dans la rade de Toulon ou à Port-Saint-Louis du Rhône, ou sur l'étang de Tau. Aujourd'hui ils les achètent est en font même venir d'Italie.
Les parcs sont contrôlés par les services sanitaires tous les quinze jours en hiver et toutes les semaines en été. C'est un gage de sécurité pour le consommateur mais aussi un infaillible moyen de mesure et de surveillance d'éventuelle pollution. Les parcs sont désormais de véritable sentinelles écologiques. Aujourd'hui, il est admis que leur présence est un gage de bonne qualité de l'eau de mer comme le proclame Michel Arnaud le Président des éleveurs. Du coup, leur disparition serait une menace pour les eaux de la rade de Toulon.
À l'heure de l'Europe, Jean-Louis Étienne fait un bilan demi teinte. "La relève ne sera pas assuré car les jeunes, à quelques exceptions près, ne prendront pas la suite. Pour survivre dans cette activité, il faut savoir rester petits et vendre localement. On est comme les chevriers qui produisent leurs fromages, on est victimes des normes européennes, alors il faut se battre pour que survive l'artisanat."

La corniche de Tamaris offre au promeneur un étonnant voyage dans le temps. Le fort Balaguier, une redoute de Vauban qui protège la rade, abrite désormais un fascinant musée du bagne et ses jardins, presque exotiques, dominent les parcs à moules. En ces lieux, on se prend à évoquer Jack London qui dans ses écrits sur sa jeunesse, dévoile son passé de pilleur d'huîtres dans la baie de San Francisco. Il y a quelques années à peine, on pouvait d'ailleurs encore voir, dans le petit port de Balaguier, l'épave du yatch du mythique Errol Flynn, qui depuis peu de temps a été paraît-il renfloué et restauré. A Tamaris on retrouve cette atmosphère étrange des romans d'aventure, presque orientale, avec ces maisons mauresques qui étalent l'ombre de leurs minarets sur la colline qui domine les parcs à coquillage.


Quant aux produits de cet élevage, les fameux fruits de mer de Tamaris, moules, huitres et violets, le meilleur moyen de les découvrir est de prendre place sur le port de Toulon ou de La Seyne-sur-Mer, à la terrasse d'un restaurant, et de se les faire servir accompagnés d'un petit blanc du cru bien frais. Alors, vous verrez qu'ils ont le goût inimitable de ces lieux, un mélange de fraîches saveurs, sauvages et salées, d'histoire et de douceur de vivre.